TDG: Cédric Pescia dévoile les traits les moins familiers de Robert Schumann
Le pianiste lausannois complète avec virtuosité et naturel une intégrale collective du label Claves
Ce sont six volumes d’une intégrale qui a embarqué dans l’aventure plusieurs jeunes pianistes. Un puzzle musical éclaté a pris ainsi forme et il s’achève aujourd’hui avec une dernière pièce posée par un interprète, Cédric Pescia, qui fréquente depuis longtemps et avec assiduité les rivages de Robert Schumann. Le tableau qu’a voulu établir le label romand Claves autour du compositeur allemand est ainsi complété. Et il faut le dire d’entrée, le double album qui parachève l’œuvre a de quoi intriguer.
Parce qu’on y croise des pièces qu’on considère dans la plupart des cas comme mineures, et parce qu’il est donc relativement rare de les entendre sur disque et sur scène. Et pourtant, elles témoignent dans la plupart des cas du chemin emprunté par leur auteur et elles permettent d’éclairer les filiations et les admirations dans lesquelles se reconnaît sans ambages Schumann. On en trouvera une illustration parfaite dans ces Etudes pour le pianoforte d’après les Caprices de Paganini, op.3 et op.10, ou encore dans les Exercices sur un thème de Beethoven WoO 31. La question se pose pourtant. Sommes-nous face à des œuvres dispensables? On pourrait le croire et ajouter au panier les très scolaires Vier Fugen, op. 72 et les martiales Vier Märsche, op. 76. «Et pourtant, il y a des voix intérieures dans chacune de ces pièces, nous dit Cédric Pescia au téléphone. Des fêlures et des passages d’une virtuosité qui pourrait sembler inadéquate et qui cependant nous touche encore.»
Si cette histoire discographique captive malgré tout, c’est aussi parce que derrière chaque articulation, derrière chaque respiration, on devine un pianiste en quête de sens musical. «En me penchant sur les partitions, je ne peux m’empêcher de voir Schumann en train de les écrire. Ce qui compte à mes yeux, c’est alors de comprendre à chaque fois pourquoi et pour qui il compose.» On entend cette recherche du sens de la lettre tout particulièrement dans les Kreisleriana op. 16, qui ont une valeur intrinsèque d’une tout autre envergure par rapport au reste du programme.
Ici, en intime du compositeur, Cédric Pescia donne a voir sa personnalité complexe: il est éthéré, suspendu sur un ton à la fois méditatif et mystérieux dans les mouvements lents de l’op.16 (on est ému par le «Sehr langsam») et s’arme d’une belle véhémence dans les deux derniers mouvements, porté par une grande virtuosité («Sehr rasch») et par un toucher robuste («Schnell und spielend»). Cette faculté à saisir le Schumann techniquement redoutable est encore audible dans la Toccata op.7, qui requiert une prodigieuse maîtrise digitale. Cédric Pescia franchit ce beau col avec naturel. C’est d’ailleurs cet état d’esprit, libéré et habité à la fois, qui se dégage de son jeu et de son regard renouvelé sur le compositeur.
Source de l'article: Tribune de Genève, le 24.02.17 par
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