Diapason magazine: Duende de Teo Gheorghiu, Diapason d'or
Diapason d'or mars 2021
Enregistrement réalisé en juin 2020 au Théâtre populaire romand de la Chaux-de-Fonds par Jean-Martial Golaz. Dans une image sonore à la réverbération généreuse, le piano reste toujours précis et sa couleur « embuée » plaisante. La réponse acoustique du lieu préserve l’instrument d’une carence de relief.
La salle à l’acoustique légendaire de la Chaux-de-Fonds en Suisse, les reflets mordorés d’un Steinway de 1966, celui-là même qu’y utilisa Claudio Arrau pour l’enregistrement de ses Images de Debussy : le pianiste suisso-canadien de vingt-huit ans a mis toutes les chances de son côté pour qu’opère la magie du « Duende », ce génie créateur, cette flamme à laquelle s’abandonne l’interprète pour atteindre des zones mystérieuses, et nous envoûter. Dès une Jeune Fille et le rossignol de Granados comme improvisée, virevoltant au gré d’insaisissables notes rapides, nous voici fixées : une forte personnalité est au clavier. Cette liberté de ton trouve une illustration éloquente dans la Suite espagnole op. 47 d’Albeniz, en particulier dans Leyenda, jouée lentement (contrairement à une Alicia de Larrocha) et sans faire claquer les accords comme un fouet, plus insinuante et hypnotique que jamais.
De la subtilité, Teo Gheorghiu en a à revendre. Voyez avec quel sens du récit il investit Curranda, petite merveille d’émotion simple, avec quel propos il marque le chant de Saeta, rendu aux nuances « piano mais sonores » que réclame Albeniz ! Et c’est bien un sentiment harmonieux qui règne dans son envolée finale. Le Debussy de Gheorghiu n’est pas moins personnel. Voilà un artiste qui ose et ne se sent pas intimidé par les multiples exigences du compositeur, notées avec précisions sur la partition. Sa Sérénade interrompue, d’une fierté expansive, fantaisiste au meilleur sens du terme, foisonne.
La Puerta del vino se révèle no moins splendide d’inventivité et de vie. Alborada del gracioso de Ravel pourra surprendre : pas aussi violent et sarcastique que d’autres, l’interprète explore patiemment ses méandres et ses zones d’ombre.
Décidemment, Teo Gheorghiu ne fait rien comme tout le monde. Et ce camaïeu hispanisant s’en porte à merveille.
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