Je n’ai pas eu besoin de beaucoup de périodes d’écoute pour me convaincre qu’il s’agit ici d’une excellente version de ces deux concertos. Dans le cas du premier qui fait face à une concurrence énorme (probablement le concerto pour piano le plus souvent enregistré), le pari était risqué pour le label de se tailler une place de choix sur le marché. Quant au deuxième dans sa version originale telle qu’enregistrée ici, le pari comportait aussi sa part de risques car il est beaucoup moins connu des mélomanes et longtemps boudé par plusieurs solistes; pendant des décennies, c’était la version écourtée d’Alexandre Siloti (ou Ziloti selon l’orthographe retenue) qui dominait seule la discographie.

Il est intéressant d’apprendre que dans les deux cas, Tchaikovsky a tenu tête devant ceux qui n’y voyaient que des défauts. Pour le premier, Nicolai Rubinstein, alors directeur du Conservatoire de Moscou, disait que seules quelques pages méritaient d’être conservées; il s’est grandement ravisé par la suite. Quant à la révision proposée par Siloti pour le deuxième concerto en réduisant d’environ de moitié le deuxième mouvement, encore une fois Tchaikovsky la rejeta catégoriquement. D’ailleurs, ceux qui veulent distinguer les deux versions n’auront qu’à consulter le minutage du deuxième mouvement : autour de 8 minutes pour Siloti, et 15 minutes pour l’original.

C’est un disque si parfait que je m’étais demandé si je devais commenter d’abord la production technique ou l’interprétation. Pour l’heure, je ne crois pas qu’il existe de meilleure version de l’original du deuxième concerto que celle-ci, et quant au premier concerto, il mérite de se classer parmi les cinq meilleurs enregistrements à acquérir.

Alors pour commencer, rendons hommage à cette jeune et surprenante pianiste née en Suisse en 1994 (de deux parents d’origine chinoise), formée à Genève et à Berlin, et dont c’est le quatrième disque (24 Études de Chopin, 12 Études d’exécution transcendante de Liszt, intégrale des sonates de Beethoven, ces deux derniers cycles parus aussi chez Claves). Dans ces concertos de Tchaikovsky, tout y est : musicalité indéniable, technique et virtuosité impressionnantes, contrôle de la sonorité et netteté de l’articulation admirables, finesse du toucher et aplomb merveilleux, capacité de puissance remarquable. Mais si vous croyez que mon concert d’éloges soit exagéré, écoutez d’abord les redoutables cadences des premiers mouvements (Concerto 1 : entre 15 min.50 et 18 min.58 – Concerto 2 : 11 min.38 et 16 min. 20) et la partie prestissimo du 2ème mouvement du premier concerto (entre 3 min.28 et 4 min.58).

Ensuite, portez votre attention sur le tendre lyrisme des mouvements centraux des deux concertos ainsi qu’aux passages en trio piano, violon, violoncelle du 2ème mouvement du 2ème concerto.

Devant une interprétation aussi resplendissante, Mélodie Zhao m’a convaincu de l’influence de ce concerto sur ceux qui allaient suivre; les textures perlées, la vivacité rythmique, la fluidité virtuose, le mélodisme chaleureux ont laissé un héritage déterminant du moins chez les compositeurs russes et français (Rachmaninov et Ravel notamment).

Quant à la prise de son, elle excelle dans l’équilibre parfois assez délicat entre piano et orchestre, entre les divers pupitres de l’orchestre, et aussi dans les écarts dynamiques : les double, triple et quadruple forte du piano ressortent sans écraser le tympan et, à l’autre bout du spectre, tous les détails ténus en pianissimo sont transparents. L’expertise de la production technique est telle que la complicité entre l’orchestre, la soliste et le chef reçoit un éclairage qui ferait l’envie de plusieurs ensembles; l’orchestre répond magnifiquement au modelé du discours soliste.

Je n’ai pas honte de l’affirmer : il en résulte une écoute réellement jouissive. Finalement, la pochette très soignée fera regretter ceux qui sont passés irrémédiablement au numérique.

Je recommande donc sans réserve cette nouvelle production que ce soit pour l’un ou l’autre concerto même si vous en possédiez déjà d’autres. Selon moi, c’est un des meilleurs disques de l’année 2015.

Page: Passion Musique et Culture (Décembre 2015)

Source de l'article: Guy Sauvé - Facebook