La Liberté: Interview de Benjamin Righetti par Elisabeth Haas
Benjamin Righetti a enregistré les Six sonates de Mendelssohn sur
les grandes orgues Mooser de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg / © Photo: Alain Wicht, La Liberté
Intarissable, Benjamin Righetti. Dès qu’il a tourné la clef de la soufflerie, il a des trésors à raconter. Sous les doigts, mais aussi de vive voix. Devant les tuyaux et les claviers des grandes orgues Mooser de la cathédrale Saint-Nicolas, à Fribourg, il s’émerveille. Et il émerveille. Il sait dire toute la magie qui fait de l’instrument, complexe et géant, un chef-d’œuvre. Cela commence par la mécanique, restaurée en 1982, fidèlement à son état d’origine. Jusqu’à la variété des registres. Y compris ce bourdon de 32 pieds, au pédalier, qu’il aime utiliser et qui «assoit» le son. C’est là, du haut de la tribune, avec des perches portant les micros au milieu de la nef, où le son est le meilleur, que l’organiste lausannois a gravé les Six sonates pour orgue de Mendelssohn, un très, très beau disque édité par Claves.
Rencontre
Elisabeth Haas: Qu’est-ce qui vous fascine dans l’orgue?
Benjamin Righetti: Organum, en grec, veut dire «instrument». L’orgue, c’est l’instrument par excellence. Pour faire de la musique, on peut chanter. Mais on a des limites. Pour se dépasser, l’être humain est devenu instrumentiste. Il a créé des flûtes et des hautbois. Mais les poumons humains ne sont pas suffisants. Pour les faire sonner très fort, les Grecs, déjà, ont construit des orgues hydrauliques. L’orgue est clairement le plus grand instrument. Aucun autre instrument n’est aussi responsable de la production du son que l’orgue. L’alimentation en air des tuyaux ne dépend pas de la personne qui joue. Les différences entre les interprètes tiennent au rythme. Nous avons tous une manière personnelle d’organiser les notes dans le temps.
EH: Pour jouer Mendelssohn, qu’est-ce qui définit votre patte?
BR: Mendelssohn voyageait beaucoup. A son époque, on commençait à penser l’Europe. Il était vraiment un musicien européen et côtoyait des instruments très différents. Il savait qu’une registration (les différents jeux à disposition sur un orgue, ndlr) n’est pas utilisable partout. Il notait donc peu de choses sur ses partitions: des nuances, la vitesse et des indications de plans sonores.
EH: Donc c’est sur les registres, les sonorités que vous pouvez le plus jouer. Comment faites-vous vos choix?
BR: C’est là où les années de route font du bien. Plus on joue d’orgues, plus on connaît de registres, mieux on comprend les mélanges qui fonctionnent. Nous avons aussi des sources anciennes, qui indiquent les mélanges qui sonnent bien. Par exemple, on peut savoir, au XVIIIe siècle, dans tel village, quels jeux on tirait. Ce sont des recettes de cuisine. Mais il faut ensuite les adapter aux aliments dont on dispose. Quand on arrive sur un orgue, on écoute d’abord comment il sonne. On écoute s’il faut faire sonner une flûte de manière plus ronde en ajoutant un autre registre. On goûte, on essaie.
EH: Et comment faites-vous pour vous souvenir des bons mélanges?
BR: Sur le disque, il y a une bonne centaine de mélanges différents. Il faut tout noter. J’ai un carnet de registration (il sort un petit carnet, griffonné au crayon.) Ou je colle des post-it directement sur les partitions. Les organistes travaillent beaucoup avec les post-it. Parfois il faut un assistant pour tirer les registres. Pour jouer Mendelssohn, sur un grand instrument comme celui-là, j’ai besoin de quelqu’un.
EH: Difficile d’écouter votre disque dans la voiture, la dynamique est trop importante. Il faut l’écouter au calme, sur une bonne chaîne. Pourquoi encore enregistrer des disques d’orgue?
BR: L’orgue peut faire de très grandes nuances, ce qui rend difficile de diffuser de la musique d’orgue, spécialement à la radio. Mais Jean-Claude Gaberel est un magicien de la prise de son. Dans un enregistrement, on peut choisir de placer les micros là où l’orgue sonne le mieux. En concert, on bénéficie de la spatialisation du son, mais on n’est pas toujours placé au meilleur endroit pour écouter tous les plans sonores. Le disque est à la fois meilleur et moins bien que le concert. Même si on perd le direct, on offre un autre son au public.
EH: Pourquoi graver Mendelssohn à Fribourg?
BR: Pour l’instant j’ai fait tous mes enregistrements en Suisse: nous avons un très beau parc d’instruments, j’aime le faire connaître. Cela fait sens d’enregistrer les Sonates de Mendelssohn ici. Pour cette musique, avec la variété des registres et la qualité de sa restauration, c’est l’instrument le plus intéressant et le plus expressif. Grâce à son tempérament inégal, il possède des couleurs qui permettent de créer des contrastes, des différences de tensions. C’était comme ça aussi à l’époque de Mendelssohn. Mais la musique d’un Messiaen ne sonnerait pas bien à Fribourg. Les orgues ne peuvent pas tout jouer. Du coup les organistes se déplacent beaucoup.
Benjamin Righetti jouera les Six Sonates de Mendelssohn en concert à Berne, au Kulturcasino, le 29 janvier à 17 h.
Plus de dates: www.righetti.xyz
Source de l'article: La Liberté, Elisabeth Haas, 21.01.17
BIO EXPRESS
1982 - Naissance dans le canton de Neuchâtel. Formation à Neuchâtel, Lausanne, Genève et Toulouse.
1997 - Officie comme organiste à Colombier.
2002-2007 - Lauréat de plusieurs concours internationaux: Suisse, Bruges, Tokyo-Musashino, Freiberg (Premier Prix), Chartres, Paris (Grand Prix).
2009 - Titulaire à l’église française de Berne.
2010 - Titulaire au Kulturcasino de Berne.
2012 - Titulaire à l’église Saint-François de Lausanne.
2014 - Professeur à l’HEMU (Haute Ecole de musique VD-VS-FR).
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